Des méthodes d’installation de l’imam des musulmans
et de l’obligation d’obéissance et du conseil

La fonction d’imam des musulmans est une charge titanesque et une lourde responsabilité, car sans elle, la religion ne peut être correctement appliquée et les intérêts de la communauté ne sauraient être protégés ni gérés sans une autorité obéie. Cette charge ne peut être exercée que par une personne hautement qualifiée et habilitée. Aussi, celui qui accomplit convenablement cette tâche et cette responsabilité – dans les limites de ses capacités – et qui les accomplit de la meilleure façon, fidèlement et en toute sincérité, sera parmi ceux qu’Allah mettra dans Son ombre le jour où il n’y aura d’ombre que la Sienne(1). C’est ainsi que conduire les affaires publiques conformément à la Charia d’Allah سبحانه وتعالى est considéré comme l’un des plus importants devoirs de l’imam des musulmans. Cette gestion est une exigence primordiale, sans laquelle les aspirations de ses gouvernés à l’application de la justice, à l’éradication de l’injustice et à la protection de la religion ne sauraient être réalisées. Allah سبحانه وتعالى, a dit :

﴿الَّذِينَ إِنْ مَكَّنَّاهُمْ فِي الأَرْضِ أَقَامُوا الصَّلاَةَ وَآتَوُا الزَّكَاةَ وَأَمَرُوا بِالْمَعْرُوفِ وَنَهَوْا عَنِ الْمُنْكَرِ وَللهِ عَاقِبَةُ الأُمُورِ﴾ [الحج: 41].

Allah prêtera assistance à ceux qui, si Nous leur donnons la puissance sur Terre, accomplissent la salât, s’acquittent de la zakât, ordonnent le convenable et interdisent le blâmable. Cependant, l’issue finale de toute chose appartient à Allah.﴿ [Al-Hajj (le Pèlerinage) : 41].

Aussi, la voie suivie par ceux qui ont le pouvoir de décision détermine celle que prendront leurs gouvernés. Selon Ibn Taymiyya رحمه الله, «Oulou Al-Amr sont les gens de décision. Ce sont eux qui ordonnent aux gens [ce qu’ils doivent faire]. Ce terme comprend ceux qui ont la faculté de changer avec la main et ceux pouvant changer avec la science et la parole : c’est pour cela qu’Oulou Al-Amr sont deux catégories : les oulémas et les commandeurs. Si ces deux classes suivent la voie juste et correcte, les gens deviennent, tout aussi, justes et corrects ; s’ils suivent une voie détournée, les gens se détournent de la justice et de ce qui est correct.»(2)

L’une des preuves majeures de l’obligation d’installer le grand imam et de lui prêter allégeance, est le hadith du Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم: «Celui qui meurt sans avoir suivi l’imam de la communauté mourra d’une mort de Jâhiliyya (l’époque préislamique).»(3) Et son hadith : «Celui qui s’exclut de l’obéissance [de l’imam] rencontrera Allah le Jour du Jugement Dernier sans aucun argument, et celui qui meurt sans avoir prêté allégeance [à l’imam] mourra d’une mort de Jâhiliyya.»(4) Cela s’explique par le fait que «durant la période préislamique, les gens étaient sans un chef qui les unissait autour d’une religion et d’un mot d’ordre unique ; au contraire, ils étaient divisés en sectes et en clans opposés ; ils suivaient divers courants dogmatiques et avaient des opinions diverses et antagonistes. Ce qui les a amenés à adorer les idoles et à obéir aux flèches divinatoires.»(5)

Ainsi, le but de l’installation du grand imam est d’unifier la parole et les gens, d’appliquer la religion et les sentences divines, d’éradiquer l’injustice, de répandre la justice, de protéger les honneurs, d’instaurer la stabilité, d’aplanir les différends, de punir les transgresseurs, de rendre justice à celui qui a subi l’injustice, de combattre les ennemis de l’Islam, de protéger les frontières du pays et les vies humaines, d’éradiquer le mal et le chaos et de jouir des droits légitimement acquis [selon la Charia].

Al-Jouwayni رحمه الله a écrit : «La défense des frontières du pays et la protection des vies humaines sont une obligation énoncée dans la Charia. Si les gens sont laissés à leur bon vouloir, sans que personne ne les rassemble autour de la vérité ni ne les dissuade de faire le mal et de succomber aux tentations du diable, outre la diversification des opinions et des tendances, le désordre règnera ; les meilleurs périront et les ignobles s’empareront des postes de décision. Chacun prendra parti pour une opinion ; les courants opposés se mueront en groupuscules ; les ignobles gouverneront les notables ; les assemblées se dissoudront ; les fissures se creuseront davantage ; les différends se multiplieront ; les pervers se placeront au-dessus des pieux ; les groupes s’éparpilleront. Et on n’a pas besoin d’expliciter longuement après que l’explication s’est faite. Ce qu’Allâh enlève par le sultan est plus nombreux de ce qu’Il enlève par le Coran.»(6)

C’est pour cela que la fonction de l’imam était légiférée pour succéder à la prophétie en ce qui concerne la sauvegarde de la religion et la gestion de la vie d’ici-bas.

Ibn Khaldoûn رحمه الله a écrit : «L’obligation d’installer l’imam est connue dans la Charia et attestée à l’unanimité par les Compagnons du Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم et les successeurs, car, après le décès du Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم ses Compagnons ont prêté allégeance à Abou Bakr رضي الله عنه, et lui ont confié la gestion des affaires publiques. Il en a été ainsi à chaque époque depuis, sans laisser les gens dans l’anarchie [sans dirigeant]. Cela est devenu un consensus qui prouve l’obligation d’installer l’imam.»(7)

Cela dit, l’installation du grand imam se fait par l’une des méthodes suivantes :

• Première méthode : le choix et l’allégeance des notables [les gens de décision]

Les notables de la communauté sont des personnes réputées pour leur savoir, leur vertu et la justesse de leurs opinions. Pour cela, ils sont mandatés pour choisir le grand imam, selon les critères et les conditions du grand imamat (gouvernance). Si une personne obtient l’allégeance des notables, elle reçoit la charge de grand imam. Dès lors, l’obéissance lui est due, et enfreindre ses décisions dans le convenable devient interdit. Obtenir la charge de grand imam n’est pas conditionné par l’allégeance des musulmans à l’unanimité, car l’allégeance des sages et des gens de décision engage tous les habitants de la contrée qu’il gouverne, car les musulmans ne constituent qu’une seule et unique communauté, un organisme unique, dont les membres sont unis par la fraternité de la foi. Ils sont égaux en droits et face à ce qui est interdit d’offenser : le sang, l’argent et l’honneur, conformément au hadith du Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم: «Les musulmans sont égaux en sang [sans distinction entre noble et roturier], le plus inférieur d’entre eux peut sceller un pacte [qui engage tous les musulmans] ; le plus éloigné d’entre eux peut également conclure un traité [avec l’ennemi et malgré cela, celui qui est le plus proche de l’ennemi doit respecter ce traité]. Ils (les musulmans) s’entraident contre autrui. Celui qui a mieux combattu ou a mieux/ plus de moyens de combat (armes, montures, etc.) partage équitablement le butin avec celui qui ne l’est pas. De même pour le troupe qui a combattu sur le terrain avec le reste de l’armée. Un musulman ne peut être tué si lui-même a tué un mécréant, et un mécréant, ayant conclu un traité, ne doit non plus être tué.»(8)

Ach-Chawkâni رحمه الله a dit : «La méthode [de prêter allégeance] consiste en la réunion d’un groupe de notables qui proposent [à celui qui se porte candidat] pour être grand imam, et celui-ci accepte, que ce soit lui-même qui aurait demandé à ce qu’on lui fasse allégeance ou non. Dans le cas où c’est lui-même qui aurait demandé qu’on lui fasse allégeance, il aura désobéi au hadith du Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم dans lequel il déconseille de demander la commanderie(9). S’il obtient l’allégeance à sa demande, il devient l’imam, même s’il a fauté en faisant la demande. C’est cela qui doit être affirmé et ce, conformément à la Sounna purifiée… Quoi qu’il en soit, ce qui doit être considéré est que les notables lui ont prêté allégeance, ce qui doit donner lieu à l’obligation de lui obéir [à l’imam], établissant par ce fait son imamat et l’interdiction de lui désobéir. Des preuves existent à ce sujet le confirmant. En conséquence, l’obéissance lui est due. Celui qui le contredit devient fautif. Ceci a été prouvé par la Sounna (…) Allah a dispensé [les gens] de parcourir de longues distances – avec toutes les souffrances des voyages – dans le but de faire allégeance au grand imam. Aussi, leur suffit-il que les sages lui prêtent allégeance pour qu’il devienne grand imam, car dès que ce dernier obtient cette allégeance, tous les musulmans lui doivent obéissance, et il n’est pas nécessaire, [pour que la personne lui doivent obéissance], que chaque individu habilité à cela lui fasse allégeance, ni que la personne elle-même soit parmi celles qui l’ont fait. Ces deux conditions sont exclues à l’unanimité par les musulmans, les premiers et les derniers.»(10)

C’est de cette façon que l’allégeance a été faite à Abou Bakr رضي الله عنه, et son califat a été entériné par l’allégeance et l’élection(11) dans le hangar des Banou Sâ`ida. Al-Qortobi رحمه الله a dit : «Les Compagnons du Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم se sont entendus pour choisir Abou Bakr après un différend entre les Emigrés et les Ansars (Al-Mouhadjiroun et Al-Ansâr) dans le hangar des Banou Sâ`ida.»(12)

• Deuxième méthode : l’allégeance par la désignation du successeur

Le gouverneur confie sa succession à la personne qu’il voit la mieux habilitée à protéger la religion et à conduire les affaires d’ici-bas. Le fait que son prédécesseur l’ait désigné, cela engage les musulmans à lui prêter allégeance. C’est ce qui s’est passé entre Abou Bakr et `Omar Ibn Al-Khattâb رضي الله عنهما lorsque, sentant la mort arriver, Abou Bakr رضي الله عنه a confié l’imamat à `Omar رضي الله عنه, sans que les autres Compagnons du Prophète رضي الله عنهم n’y voient d’inconvénient. C’est ainsi que la communauté s’est entendue sur la transmission de l’imamat par le fait que le premier imam désigne son successeur. Mou`âwiya رضي الله عنه a confié l’imamat à son fils Yazîd, tout comme d’autres l’ont fait après lui. Et comme preuve de ce qui a été avancé, le hadith du Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم lorsqu’il a confié l’étendard, dans la bataille de Mou'ta, à Zayd Ibn Hâritha, en disant : «Si Zayd est tué – ou s’il tombe en martyr – votre commandant sera Dja`far. S’il est tué – ou tombe en martyr – votre commandant sera `Abd Allâh Ibn Rawâha.»(13) Finalement, tous les trois sont tombés en martyrs, et l’étendard a été repris par Khâlid Ibn Al-Walîd, alors que le Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم n’a pas cité son nom. Ce hadith est, donc, une preuve de l’obligation de l’installation de l’imam et de la désignation de son successeur. Selon Al-Khattâbi, «la désignation du successeur est un acte de la Sounna, sur lequel sont tombés d’accord les Compagnons du Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم et la communauté aussi, excepté les sectes des Khawârij et autres qui sont rentrés en rébellion et se sont affranchis de l’acte d’obéissance»(14).

• Troisième méthode : l’allégeance par la délégation d’un groupe qui choisit l’imam

Le premier commandeur confie à un groupe restreint, dont les membres remplissent les conditions de la charge de grand imam, de choisir parmi eux celui qui deviendra grand imam et de lui faire allégeance. C’est ce qu’a fait `Omar Ibn Al-Khattâb رضي الله عنه, en confiant à un groupe de personnes réputées pour leurs conseils avisées lors des concertations, de choisir l’une d’entre elles pour devenir grand imam. Selon Al-Khattâbi رحمه الله, «`Omar [Ibn Al-Khattâb] n’a ni négligé ce sujet ni annulé la désignation d’un successeur. Mais, il a restreint cette désignation à la consultation des personnes peu nombreuses mais hautement qualifiées à choisir un imam d’entre elles. Celle d’entre elles qui a assumé cette charge en était digne. C’est ainsi qu’elles ont choisi `Othmân [Ibn `Affân] et lui ont fait allégeance»(15). A la mort de `Othmân رضي الله عنه en martyr, on a prêté allégeance à `Ali رضي الله عنه.

• Quatrième méthode : l’allégeance par la force, la contrainte et la violence

Si un dirigeant se porte au pouvoir par la force et la violence en soumettant les habitants de la contrée qu’il gouverne, il devient imam des musulmans, même s’il ne réunit pas les conditions de l’imamat (gouvernance). Son commandement doit être accepté et l’obéissance lui est due dans le convenable. Lui désobéir ou le contrarier et se rebeller contre lui deviennent interdits, à l’unanimité chez les gens de la Sounna, car cela pourrait engendrer plus de mal que de bien, étant donné qu’une confrontation peut faire couler le sang des musulmans et porter atteinte à leurs biens, sans parler de l’affaiblissement de l’Etat qui devient vulnérable et une proie facile aux ennemis de l’Islam. D’après l’imam Ahmad رحمه الله, «celui qui se révolte contre un imam (gouvernant) des musulmans, et dont le pouvoir a été reconnu, volontairement ou sous la contrainte, ce rebelle a, certainement, semé le schisme au sein des musulmans et s’est opposé aux préceptes du Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم ; et s’il meurt, le sera d’une mort de Jâhiliyya. Aussi, il est illicite de combattre le gouvernant ou de se rebeller contre lui. Celui qui le fait devient hérétique et se retrouve en marge de la Sounna et du droit chemin»(16).

Al-Hâfidh Ibn Hajar dans Fat’h Al-Bâri(17) et cheikh Mohammad Ibn `Abd Al-Wahhâb dans Ad-Dourar As-Saniyya(18) ont confirmé l’unanimité sur la question d’obéir au dirigeant usurpateur.

Je dis : Parmi les imamats acquis par la force, celui de `Abd Al-Malik Ibn Marwân qui a vaincu les gens par l’épée et exercé son imamat par la force. Il y a aussi l’imamat des Omeyyades en Andalousie qui gouvernaient par la contrainte, bien que le califat soit entre les mains des Abbassides à Baghdad.

Les quatre méthodes citées sont celles d’acquisition (de la fonction) de grand imam. Celle-ci est, donc, acquise soit par le choix (élection), soit en désignant un successeur, soit en confiant la mission à un groupe de sages qui choisit un gouverneur, qui en est issu. Ces deux méthodes sont légales et ont fait consensus. Si l’imam obtient l’allégeance des sages qui l’ont choisi au préalable, celle-ci engage tous les habitants de la contrée gouvernée, tout comme ceux-ci sont engagés à faire allégeance à l’imam choisi qu’il soit désigné par son prédécesseur ou qu’il se soit imposé lui-même par la force, l’imamat, étant acquis de fait, engage tous les habitants de la contrée gouvernée.

Concernant l’acquisition (de la fonction) de grand imam à travers les systèmes importés qui n’ont aucune légitimité religieuse, et hormis le fait que ces systèmes soient impropres et dangereux pour la foi, cette charge d’imamat devient effective. Elle s’apparente à l’imamat acquise par la force, la violence et la domination, même si le dirigeant qui l’exerce ne satisfait pas à toutes les conditions de l’imamat quand bien même si elle lui serait acquise sans choix, élection ou succession.

D’après An-Nawawi, «la troisième méthode consiste à prendre l’imamat par la violence et la domination : si le [premier] imam meurt et qu’une personne, qui réunit les conditions de l’imamat, s’accapare le poste d’imamat par la force et soumet les gens par la violence, son califat est effectif afin d’unifier et de stabiliser les musulmans. Si cette personne ne réunit pas les conditions de la fonction d’imam, en étant ignorante ou débauché, deux avis se présentent : le plus juste est que son imamat est valide pour la raison citée précédemment, même s’il devient un insoumis par son acte»(19). De ce fait, l’obéissance lui est obligatoirement due, même s’il est injuste. Néanmoins, il ne doit être obéi que dans la bienfaisance, et non dans les actes d’insoumission, conformément au hadith du Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم: «L’obéissance n’est que dans ce qui est religieusement convenable»(20), et le hadith : «Il n’y a pas d’obéissance à une créature en désobéissant Allah, Exalté soit-Il.»(21)

Abou Al-Hassan Al-Ach`ari رحمه الله a énuméré les fondements sur lesquels les prédécesseurs (Salafs) étaient unanimes et affirme qu’«ils sont unanimes quant à l’obligation de l’obéissance aux imams des musulmans qu’ils soient élus ou qu’ils se soient imposés par la force, et qu’il ne faut pas les combattre, à tort ou à raison, qu’ils soient justes ou iniques»(22).

Pour As-Sâboûni رحمه الله «les gens du hadith affirment l’obligation d’accomplir la prière du vendredi et celles des deux Aïds ainsi que les autres prières derrière chaque imam musulman, qu’il soit juste ou non. Ils ont, aussi, l’obligation d’accomplir le djihad avec ces imams contre les mécréants, même si ces imams sont injustes ou débauchés. Ils ont aussi l’obligation de faire des invocations pour eux pour qu’ils reviennent vers le droit chemin et qu’ils répandent la justice à l’égard de leurs gouvernés. Les gens du hadith n’autorisent pas de combattre ces imams même s’ils constatent qu’ils sont iniques. Ils affirment qu’ils faut combattre les transgresseurs jusqu’à ce qu’ils reviennent à l’obéissance envers l’imam juste»(23).

D’après Ibn Taymiyya رحمه الله «Les gens de la Sounna n’obéissent pas de façon absolue aux dirigeants, néanmoins, ils se contentent de leur obéir suite à l’obéissance au Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم suivant le verset :

﴿أَطِيعُوا اللهَ وَأَطِيعُوا الرَّسُولَ وَأُولِي الأَمْرِ مِنْكُمْ﴾ [النساء: 59].

Ô croyants ! Obéissez à Allah, obéissez au Prophète et à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement.﴿ [An-Nissâ' (les Femmes) : 59]»(24).

Il a dit aussi : «La doctrine de ceux qui suivent la Sounna enseigne de ne pas combattre les rois injustes et de patienter malgré leur injustice, jusqu’à ce que la mort les en délivre.»(25)

Quant à An-Nawawi رحمه الله, il affirme qu’«il ne faut pas contrer les gouverneurs en poste ni s’y opposer, sauf s’ils commettent des actes condamnables dont on a la certitude qu’ils sont interdits par les règles de l’Islam. Dans ce cas-là, il faut les réprouver en s’astreignant à ne dire que la vérité. Néanmoins, les combattre et remettre leur autorité en cause sont interdits, à l’unanimité des musulmans, même si ces dirigeants soient débauchés et injustes. Les hadiths démontrant cela sont multiples, et les gens de la Sounna sont unanimes à dire qu’un dirigeant ne peut être renversé à cause de sa dépravation»(26).

Dans le cas où c’est un mécréant qui prend le pouvoir, il est, et de façon unanime, un devoir de le destituer et de le remplacer par un musulman qui soit compétent pour l’imamat, à condition que la capacité et l’aptitude à le faire soient réunies, tout en s’assurant qu’il n’y aura pas de dégâts ou des malheurs. Allah سبحانه وتعالى a dit :

﴿وَأُولِي الأَمْرِ مِنْكُمْ ﴾ [النساء: 59].

Et à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement.﴿ [An-Nissa' (les femmes) : 59].

Le mécréant ne fait pas partie des musulmans. S’appuyant sur les hadiths suivants du Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم: «Non, tant qu’ils accomplissent parmi vous la prière»(27), «Sauf si vous constatez une mécréance flagrante dont vous avez une preuve d’Allah عزَّ وجلَّ (i.e. émanant d’un texte religieux authentique et clair)»(28), et son hadith : «Non, tant qu’ils prient»(29), Ibn Hajar رحمه الله a dit : «Ce qu’on peut déduire de ces hadiths est que le mécréant doit être destitué à cause de sa mécréance, à l’unanimité des opinions, et il est du devoir de chaque musulman d’y contribuer. Celui qui en est capable aura sa rétribution, et celui qui courtise ce mécréant aura commis un péché.»(30)

Si les musulmans sont dans l’incapacité de le destituer et de le remplacer, ou bien s’ils craignent les troubles et le désordre s’il est destitué, ils sont dans l’obligation de patienter, sans encourir de reproches, Allah ayant dit :

﴿فَاتَّقُوا اللهَ مَا اسْتَطَعْتُمْ﴾ [التغابن: 16].

Craignez, donc, Allah autant que vous pouvez !﴿ [At-Taghâboun (la Déconvenue) : 16].

Egalement, le hadith du Prophète qui dit صلَّى الله عليه وسلَّم: «Si je vous demande de faire quelque chose, accomplissez-en ce que vous pouvez.»(31) Cette attitude est meilleure que de se rebeller, car «Repousser le mal est prioritaire que d’apporter un intérêt», conformément au verset :

﴿وَلاَ تُلْقُوا بِأَيْدِيكُمْ إِلَى التَّهْلُكَةِ﴾ [البقرة: 195].

Et ne vous jetez pas par vos propres mains dans la destruction.﴿ [Al-Baqara (La Vache) : 195].

Pour Ibn Bâz رحمه الله, «Si les musulmans voient un acte de mécréance qui soit flagrant dont ils ont la preuve, il n’y a pas de mal à se rebeller contre ce gouverneur en place pour le destituer s’ils en sont capables. S’ils n’ont pas la capacité [de le faire], ou si leur insoumission causerait un malheur plus grand, ils n’ont pas droit de se rebeller, et cela dans le but de sauvegarder les intérêts publics, car la base légale est, à l’unanimité des oulémas, de ne pas repousser le mal pour générer ce qui est pis. Bien au contraire, c’est un devoir de repousser le mal avec ce qui peut l’éradiquer ou l’adoucir. Quant à le faire disparaître par un mal plus grand, cela n’est pas permis à l’unanimité des oulémas»(32).

Je dis : Ce cas de figure ressemble à la période mecquoise du Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم et ses Compagnons avant l’Hégire vers Médine. Ils étaient sous l’autorité des mécréants, alors qu’ils avaient reçu l’ordre d’annoncer la venue de l’Islam aux gens et de les inviter à se convertir, mais aussi de ne pas combattre mais de patienter jusqu’à ce qu’Allah les en délivre, et c’est Lui le meilleur des délivreurs :

﴿أَلَمْ تَرَ إِلَى الَّذِينَ قِيلَ لَهُمْ كُفُّوا أَيْدِيَكُمْ وَأَقِيمُوا الصَّلاَةَ وَآتُوا الزَّكَاةَ﴾ [النساء: 77].

N’as-tu pas vu ceux auxquels on avait dit : ‘Abstenez-vous de combattre, accomplissez la salât et acquittez la zakât’.﴿ [An-Nissa' (Les Femmes) : 77].

Cela dit, ce qui mérite de retenir l’attention est : dans le cas où il y a plusieurs imams et gouverneurs, l’obéissance à chacun d’entre eux dans le convenable n’est obligatoire (après lui avoir prêté allégeance) que pour les habitants de la contrées qu’il a sous son autorité. Dans ce cadre, Ach-Chawkâni رحمه الله dit : «Après que l’Islam eut conquis plusieurs contrées et pays, loin les uns des autres, chaque pays a son imam ou gouverneur, et chacun d’eux se limite à sa contrée, sans étendre son autorité sur les autres régions. Cela étant, il n’y a pas de mal, s’il y a une multitude d’imams et de gouverneurs, que l’obéissance soit à chacun d’eux après l’allégeance dans les contrées qu’il gouverne uniquement. Et en cas où l’un d’entre eux rencontre l’opposition de quelqu’un dans la région où s’étend son pouvoir et dont les habitants lui ont prêté allégeance, la sentence est que son opposant soit tué s’il ne fait pas preuve de repentance. Les habitants d’un autre pays n’ont pas à lui obéir où à s’y soumettre vu l’éloignement de ces régions.

Sache que ce qui a été dit est ce qu’énoncent les bases juridiques et ce qui est conforme aux règles de la Charia. Laisse de côté ce qui contrarie ce que nous venons d’avancer, car la différence entre ce que fut la gouvernance islamique au début de l’Islam et maintenant est plus claire que la lumière du soleil du jour. Celui qui le renie est un égaré et ne mérite pas qu’on s’adresse à lui avec des arguments qu’il est incapable d’assimiler»(33).

 



(1) Dans le hadith d’Abou Hourayra rapporté par Al-Boukhâri dans «Al-Adhân» n°660 et Mouslim dans «Az-Zakât» n°1031 : «Il y a sept personnes qu’Allah mettra sous Son ombre, le jour où il n’y aura d’ombre que la Sienne : un gouverneur juste … ».

(2) Madjmoû` Al-Fatâwa d’Ibn Taymiyya (28/ 170).

(3) Rapporté par Al-Hâkim dans Al-Moustadrak (1/ 77) n°259, 403, d’après `Abd Allah Ibn `Omar رضي الله عنهما, et authentifié par Al-Albâni dans As-Silsila As-Sahîha (2/ 677) n°984.

(4) Rapporté par Mouslim dans «Al-Imâra» n°1851, d’après Ibn `Omar رضي الله عنهما.

(5) Al-`Ouzla d’Al-Khattâbi (57-58).

(6) Ghiyâth Al-Oumam d’Al-Jouwayni (23-24).

(7) Al-Mouqaddima d’Ibn Khaldoûn (p.171).

(8) Rapporté par Abou Dâwoûd dans «Al-Jihâd» n°2751, d’après `Amr Ibn Chou`ayb, d’après son père d’après son grand-père. Authentifié par Al-Albâni dans Irwâ' Al-Ghalîl (7/ 266) n°2208.

(9) D’après `Abd Ar-Rahmân Ibn Samoura qui a dit : «Le Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم a dit : Ô `Abd Ar-Rahmân Ibn Samoura, ne demande pas la commanderie, car si tu l’obtiens à ta demande, elle te sera un lourde charge et tu en seras seul responsable, alors que si tu l’obtiens sans en exprimer la demande, tu seras assisté dans ta mission» Rapporté par Al-Boukhâri dans «Les lois» n°7146 et Mouslim dans «Les serments» n°1652.

(10) As-Sayl Al-Jarrâr d’Ach-Chawkâni (4/ 511-513).

(11) Parmi les oulémas, il y en a ceux qui affirment que le califat d’Abou Bakr a été instauré explicitement et implicitement par le Prophète صلَّى الله عليه وسلَّم. Cf. Charh Al-`Aqîda At-Tahâwiyya d’Ibn Abi Al-`Izz Al-Hanafi (p.533).

(12) Al-Jâmi` Li-Ahkâm Al-Qour'ân d’Al-Qortobi (1/ 264).

(13) Rapporté par Ahmad dans son Mousnad n°1750, d’après `Abd Allâh Ibn Ja`far رضي الله عنهما et authentifié par Ahmad Châkir dans La Vérification du Mousnad Ahmad (3/ 192) et par Al-Albâni dans Ahkâm Al-Janâ'iz (p.209).

(14) Ma`âlim As-Sounan d’Al-Khattâbi avec Sounan Abi Dâwoûd (3/ 351).

(15) Op. cit.

(16) Al-Masâ'il War-Rasâ'il d’Al-Ahmadi (2/ 5).

(17) Fat’h Al-Bâri d’Ibn Hajar (13/ 7), il l’a rapporté d’Ibn Battâl رحمه الله.

(18) Ad-Dourar As-Saniyya Fi Al-Ajwiba An-Najdiyya (7/ 239).

(19) Rawdhat At-Tâlibîn d’An-Nawawi (10/ 46).

(20) Rapporté par Al-Boukhâri dans «Al-Ahkâm» n°7145. et Mouslim dans «Al-Imâra» n°1740, d’après `Ali Ibn Abi Tâlib رضي الله عنه.

(21) Rapporté par Ahmad dans son Mousnad n°1095, d’après `Ali Ibn Abi Tâlib رضي الله عنه, et authentifié par Ahmad Châkir dans La Vérification du Mousnad Ahmad (2/ 248) et Al-Albâni dans Sahîh Al-Jâmi` n°7520.

(22) Rissâla Ila Ath-Thaghr d’Al-Ach`ari (p.296).

(23) `Aqîdat As-Salaf d’As-Sâboûni (p.92).

(24) Minhâj As-Sounna d’Ibn Taymiyya (2/ 76).

(25) Majmoû` Al-Fatâwa d’Ibn Taymiyya (4/ 444).

(26) Charh An-Nawawi `Ala Mouslim (12/ 229).

Pour plus de détails, on peut se référer aux ouvrages suivants : Al-I`tiqâd d’Al-Bayhaqi (242-246), I`tiqâd A'immat Al-Hadîth d’Al-Ismâ`îli (75-76), Ach-Charî`a d’Al Âjourri (38-41), Maqâlât Al-Islâmiyyîn d’Al-Ach`ari (1/ 348), Al-Ibâna d’Al-Ach`ari (p.61), Ach-Charh Wal-Ibâna d’Ibn Batta (276-278), Charh Al-Aqîda At-Tahâwiyya d’Ibn Abi Al-`Izz (2/ 540-544), Al-`Aqîda Al-Wâssitiyya d’Ibn Taymiyya avec l’explication d’Al-Harrâs (257-259).

(27) Rapporté par Mouslim dans «Al-Imâra» n°1855, d’après `Awf Ibn Mâlik رضي الله عنه.

(28) Rapporté par Al-Boukhâri dans «Al-Fitan» n°7056, et Mouslim dans «Al-Imâra» n°1709 d’après `Oubâda Ibn As-Sâmit رضي الله عنه.

(29) Rapporté par Mouslim dans «Al-Imâra» n°1854 d’après Oumm Salama رضي الله عنها.

(30) Fat’h Al-Bâri d’Ibn Hajar (13/ 123).

(31) Rapporté par Al-Boukhâri dans «Al-I`tissâm Bil-Kitâb Was-Sounna» n°7288, et Mouslim dans «Al-Hajj» n°1337, d’après Abou Hourayra رضي الله عنه.

(32) Voir : Mourâja`ât Fi Fiqh Al-Wâqi` As-Siyâssi Wal-Fikri d’Ar-Rifâ`i (p.24). Cheikh Ibn Othaymîn رحمه الله a une précieuse parole dans Ach-Charh Al-Moumti` `Ala Zâd Al-Moustaqni` (11/ 323).

(33) As-Sayl Al-Jarrâr d’Ach-Chawkâni (4/ 512).

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